dimanche 29 janvier 2012

Aldous Huxley : La grâce

Les grâces sont des cadeaux que Dieu accorde pour nous permettre de réaliser notre objectif ultime, c'est-à-dire la connaissance unitive* de la réalité divine. De tels cadeaux sont si extraordinairement rares qu’on est immédiatement prévenu de leur nature authentiquement divine. Dans l’immense majorité des cas, ils sont si discrètement mêlés à la nature de la vie ordinaire qu’on ne sait pas que ce sont des grâces, jusqu'à ce qu’on y réponde comme il faut et qu’on reçoive ainsi les bénéfices matériels, moraux et spirituels qu’ils sont destinés à nous apporter. Si l’on ne répond pas à ces grâces ordinaires comme il faut, on en recevra nul bénéfice et on restera inconscient de leur nature, voire de leur existence même. La grâce est toujours suffisante, pourvu qu’on soit prêt à coopérer avec elle. Si nous ne faisons pas notre part des choses et que nous choisissons plutôt de nous fier à notre volonté personnelle, non seulement nous ne recevrons aucune aide des grâces qui nous sont accordées, mais nous rendrons impossible la venue de grâces nouvelles. Lorsqu’elle est utilisée de manière obstinée, la volonté personnelle crée un univers privé, impénétrable à la lumière de la réalité spirituelle, à l’intérieur duquel les champions de la volonté personnelle vont leur chemin, sans aide ni lumière, d’accident en accident, de mal prémédité en mal prémédité. C’est de ceux là que parle Saint François de Sales quand il dit : « Dieu ne te prive pas de son Amour, c’est toi qui prive son Amour de ton aide. Dieu ne t’aurait jamais rejeté si tu ne l’avais pas rejeté. »
Être clairement et constamment conscient d’être conduit par Dieu n’est donné qu’à ceux qui sont déjà très avancés dans la vie spirituelle. Au commencement, le travail doit être le fruit et non la perception directe des grâces successives accordées par Dieu, mais de la foi en leur existence. Il nous faut accepter comme hypothèse de travail que les évènements de notre vie ne sont pas simplement fortuits, mais que ce sont (si nous en usons avec pertinence) des tests d’intelligence et de caractère, des occasions d’avancer spirituellement. Si nous agissons en fonction de cette hypothèse de travail, rien de ce qui nous arrive ne devrait être considéré comme étant dénué d’importance. Nous ne devrons jamais répondre inconsidérément ni faire de notre réponse, la simple expression automatique de notre volonté personnelle, mais toujours donner le temps, avant d’agir ou de parler, de considérer quelle serait la conduite la plus appropriée à la volonté divine, la plus charitable, la plus à même de nous conduire à la réalisation de notre objet ultime .Lorsque nous nous sommes habitués à répondre ainsi aux évènements, nous découvrons, de par la nature de leurs effets, que quelques unes au moins de ces occurrences sont des grâces divines déguisées parfois en banalités  et en épreuves. Mais si nous ne réussissions pas à soutenir l’hypothèse que la grâce existe, la grâce n’aura  en effet aucune existence pour nous. Nous ferons la preuve, au mieux par une vie remplie d’accidents, au pire par une vie catégoriquement vouée au mal, que Dieu n’aide pas les êtres humains s’ils ne commence d’abord par se laisser aider.

* relative à une vie de perpétuelle union avec Dieu

Aldous Huxley : Dieu et moi, Essais sur la mystique, la religion et la spiritualité

samedi 28 janvier 2012

Aldous Huxley : La Paix

Avec l’amour et la joie, la Paix est l’un des fruits de l’Esprit. Mais elle en est aussi l’une des racines. En d’autres termes, la Paix est une condition nécessaire à la spiritualité  tout autant qu’elle en est l’inévitable résultat. Selon Saint Paul, c’est la paix qui maintient l’esprit dans la connaissance et l’amour de Dieu.
Il existe néanmoins une différence profonde entre la Paix en tant que racine de l’esprit et la paix en tant que fruit de l’esprit. La Paix en tant que racine est une chose que nous connaissons et comprenons tous, une chose que nous pouvons réalisé si nous faisons l’effort nécessaire. Faute d’y parvenir, nous ne ferons jamais de progrès sérieux dans la connaissance et dans l’amour de Dieu, nous n’aurons jamais qu’un vague aperçu de cet autre Paix qui est le fruit de la spiritualité. La Paix en tant que fruit est la Paix qui dépasse toute compréhension ; et si elle dépasse toute compréhension, c’est qu’elle est la Paix de Dieu. Seuls, ceux qui dans une certaine mesure, sont devenus pareil à Dieu peuvent espérer connaître cette Paix dans sa durable plénitude. C’est ainsi, inévitablement. Car dans le monde des réalités spirituelles, la connaissance est toujours une fonction de l’être ; la nature de ce dont nous avons l’expérience est déterminée par ce que nous sommes nous mêmes.

Aux premiers temps de la vie spirituelle, nous ne nous occupons que de Paix en tant que racine, des vertus morales qui en sont la source, des vices et des faiblesses qui entravent sa croissance. La Paix intérieure possède de nombreux ennemis. Sur la plan moral, on trouve d’un coté la colère, l’impatience et toutes les formes de violence, et de l’autre coté (car la Paix est essentiellement active et créatrice) toutes les formes d’inertie et de paresse. Sur le plan des sentiments, les ennemis principaux de la Paix sont le chagrin, l’anxiété, la peur et l’armée formidable des pensées négatives. Sur le plan de l’intellect, on rencontre les distractions stupides et le libertinage dû à la simple curiosité. Vaincre ses ennemis exige beaucoup de labeur et souvent de souffrance ; il faut mortifier constamment les tendances naturelles et les habitudes trop humaines. C’est pourquoi, dans ce monde qui est le notre, il y a si peu de Paix intérieure chez les individus et de Paix extérieure au sein des sociétés. Comme dit L’Imitation : « tous les hommes désirent la Paix mais bien peu désirent vraiment les choses qui la créent ».

 
Aldous Huxley : Dieu et moi, Essais sur la mystique, la religion et la spiritualité

vendredi 13 janvier 2012

Comment ça va ?

« Comment ça va ? » demande au téléphone cette dame impudente.
Je m’élance dans la brèche ouverte et lui réponds :
« J’ai les orteils tout recroquevillés, le tarse frisé, le métatarse entortillé. J’ai les quadriceps tétanisés, les rotules coincées, les reins bloqués, la gorge en sifflet, les mâchoires soudées, les zygomatiques ankylosés…la langue très sèche, les sourcils pelés, le front plissé, le nez pincé, les dents qui s 'éparpillent, les lèvres esgouincées…tout va très bien, comme vous voyez !
-Mais…. », hoquette la dame, ahurie….

Saint Bruno, qui vivait dans l’intimité de Dieu, avait coutume de s’écrier dans les pires circonstances : « ô Bonitas, ô Bonté ! » Prière d’allégresse, baptisée « L’alléluia du désert ».
Dans le sillage du fondateur de l’ordre cartusien, à mon humble place, je vous adresse, Seigneur, cette prière :
« Accordez moi la grâce de trouver refuge dans cette « cellule intérieure », « lieu béni, terre Sainte, où l’âme fidèle s’unit au Verbe de Dieu, la terre au ciel (…)l’humain au divin ».
Accordez moi la grâce de trouver en moi la lumière, la joie, la douceur de votre Présence.

Alors, oui, sans plaisanter, sans éluder, sans mentir, je pourrai répondre aux dames imprudentes, qui m’interrogent :
« Comment ça va… ?
-Je vais infiniment bien, j’habite au pays de Dieu. »

 Prières à décoiffer les clochers, Henri Brunel
Les éditions du Cerf