jeudi 10 mai 2012

Jean-Loup Trassard : Marcher dans la forêt


Par les griffes je m'accroche au sol irradié de racines, à toutes les écorces pour assurer ma course, une ascension rapide, la chute entre les branches que je mords. Couvert par l'avalanche de feuilles jaunes dont je traverse, ivre, les tournoiements épais et lents, je creuse pour humer l'odeur aux endroits sans neige, je touche à ses ruisseaux de sève le printemps, puis les coulures de résine tiède. La pluie pénètre, de feuilles en feuilles par glissement. Mais les longues pluies qui effacent les chemins et changent en bourbiers les labours ici ne peuvent s'arrêter, elles traversent le réseau des racines. Sur les pentes auxquelles des arbres se sont arrachés les cavités restent toujours sèches. Plus loin encore il y a même des profondeurs protégées par tant de feuilles étagées au-dessus que les gouttes n'y atteignent pas. Des mares infimes, venues de sources, accueillent en secret les langues de la nuit sous les plantes refermées. Lorsque dépérissent les basses branches, le ciel intérieur monte jusqu'à l'envers des feuilles au faîte des grands arbres, mais en même temps le sol se hausse, la forêt se remplit du bas. Les branches brisées, des arbres entiers y sont recouverts sur ma tête par des lianes. De leurs souches terreuses d'autres arbres s'élèvent et, niveau incertain, le sol plus qu'une surface devient une épaisseur. Je descends dans les dépressions, je cours sur des lieues sans quitter le centre des bois, orienté par l'odeur des essences qui dominent. J'entre dans la fraîcheur moisie des troncs creux, je monte. Certains ont des fenêtres de chouettes, j'y veille le silence sur les mousses crépusculaires. J'écoute le rêve de tant d'arbres qui s'enfoncent infiniment dans la terre. Des champignons font une faible lueur. Sous les branches des sapins qui touchent le sol, au plus bas des effondrements, sous les racines mêmes, galeries, couloirs, je rencontre des boules de fourrure.

Jean-Loup Trassard

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