samedi 19 mai 2012

Victor Ségalen : La marche en Chine

Les pas sur la route sont bons et élastiques. A peine hors du gîte, la route d'elle-même - absorbée au loin par l'horizon contourné - semble se mettre en marche, et me tire. La distance n'existe pas encore. Il ne suffit pas de marcher, on veut courir, ni de courir, on sauterait à droite et à gauche, volontiers. Au bout d'un certain nombres d'heures semblables, l'allure change : on s'avoue qu'il est indispensable d'apprendre à marcher longtemps et droit.

La nuit vient avant la fatigue. On s'endort, heureux que le lendemain s'annonce fidèle à ce jour-ci. L'aube vient, avant le réveil. On ne s'étire pas on est debout. Mais l'avancée est plus sage et plus prudente. Et l'on s'enquiert de la distance. Il ne peut être question de mesures rigides, ni de jalonner la route de segments équivalents. Le système occidental serait à la fois ici un manque de goût d'exotisme, et une raison d'erreurs locales : il ne faut pas compter en kilomètres, ni en milles ni en lieues - mais en li.
C'est une admirable grandeur. Souple et diverse, elle croît ou r'accourcit pour les besoins du piéton. Si la route monte et s'escarpe, le li se fait petit et discret. Il s'allonge dès qu'il est naturel qu'on allonge le pas. Il y a des li pour la plaine, et des li de montagne. Un li pour l'ascension, et un autre pour la descente. Les retards ou les obstacles naturels, comme les gués ou les ponts à péage, comptent pour un certain nombre de li. - Ceci n'a donc point d'équivalent dans la longueur géométrique, mais se conçoit fort bien dans la mesure humaine du temps et du jour : dix fi, c'est à peu près ce qu'un homme, ni hâtif, ni lent, abat à son pas en une heure, dans la plaine.

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