vendredi 16 décembre 2011

L’Ascenseur de Ste Thérèse de Lisieux

Vous le savez, ma Mère, j’ai toujours désiré d’être une sainte, mais hélas ! j’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé aux pieds des passants.
Au lieu de me décourager, je me suis dit : le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c’est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections, mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un siècle d’inventions, maintenant ce n’est plus la peine de gravir les marches d’un escalier, chez les riches un ascenseur le remplace avantageusement. Moi je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. Alors j’ai recherché dans les livres saints l’indication de l’ascenseur, objet de mon désir, et j’ai lu ces mots sortis de la bouche de la Sagesse éternelle : Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi (Pr 9,4). Alors je suis venue, devinant que j’avais trouvé ce que je cherchais et voulant savoir, ô mon Dieu ! ce que vous feriez au tout petit qui répondrait à votre appel, j’ai continué mes recherches et voici ce que j’ai trouvé : « Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux ! » (Is 66,13.12) Ah ! jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses, ne sont venues réjouir mon âme, l’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela je n’ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. »

Extrait d' Histoire d’une âme; Ste Thérèse de Lisieux

dimanche 11 décembre 2011

Marie de Hennezel

"Sans doute nous faut-il faire le deuil de la beauté objective de nos corps. Ils s'useront. C'est certain! Malgré les progrès de la chirurgie esthétique, de la cosmétique, de l'hygiène. Même si nous faisons du sport, que nous surveillons notre alimentation. Nous ne pouvons pas faire l'économie de ce deuil.
Lorsqu'on accepte de perdre quelque chose, autre chose vient. C'est la dynamique du deuil. Ce n'est pas une consolation, c'est une réalité. Mais on l'oublie. Aussi je crois sincèrement que nous parviendrons à nous aimer sous nos rides, sous les plis et les poches de notre peau. Nous guérirons de nos blessures narcissiques et les autres verront en nous une autre beauté."

"La chaleur du coeur empêche nos corps de rouiller" "vieillir sans être vieux"
Marie de Hennezel

mardi 6 décembre 2011

Tibhirine : Testament spirituel du Père Christian de Chergé

QUAND UN A-DiEU S’ENVISAGE...

Prieur des moines cisterciens de Tibhirine en Algérie, égorgés le 21 mai 1996.
 
S’il m’arrivait un jour - et ça pourrait être aujourd’hui - d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNEE à Dieu et à ce pays.
Qu’ils acceptent que le Maître unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat. Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui- là qui me frapperait aveuglément.
J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cour à qui m’aurait atteint.
Je ne saurais souhaiter une telle mort ; il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut- être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam. Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.
L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit-fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Eglise, précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : « Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! » Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec lui ses enfants de l’islam tels qu’il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de sa Passion, investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.
Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes soeurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis ! Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux, ce MERCI, et cet « A-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. AMEN !
Incha Allah !
Alger, l décembre 1993.
Tibhirine. l janvier 1994.

Ma vie

"Ma vie a pour leitmotiv la lutte contre les faux scintillements qui éclipsent la vraie lumière, contre la complexité qui tue la simplicité, contre les apparences vulgaires qui diminuent la vraie grandeur."

Maxime Gorki

Les pieds sur terre

Amis pèlerins régalez vous.

«Méditer sur les pieds c’est méditer sur les fondements de notre commune humanité. Je suis devenu plus attentif à tout ce que permettent les pieds. Ils ont notamment deux fonctions merveilleuses : à l’arrêt, ils permettent le maintient de l’équilibre vertical ; dans le mouvement de marche, ils inaugurent un déséquilibre du corps qui se récupère dans un nouvel équilibre, et ainsi de suite. Garder ou trouver l’équilibre suppose une subtile coordination de tous les muscles du pied, entre eux et avec tous ceux du reste du corps. Je saisi mieux pourquoi l’expression « il a bien les pieds sur terre » a fini par désigner quelqu’un qui fait preuve d’un bon équilibre personnel, c’est-à-dire qui a un juste rapport à sa propre condition humaine. […] Ma tête écoute-t-elle le message de mes pieds qui me redisent que tout en moi est issu du sol, puis de l’animalité, et sans cesse en communication vitale avec le cosmos ; ou au contraire ma tête élabore-t-elle des élucubrations par trop coupées des humbles réalités ?
Ces quelques réflexions m’invitent à relire l’épisode du buisson ardent en Ex 3,1-16. En effet, Moïse, en train de faire paître le troupeau de son beau-père, fait un détour pour voir de plus près cette chose étonnante : un buisson qui brûle sans se consumer ! Alors Dieu l’appelle du milieu du buisson, et, avant de lui révéler son nom (Ex 3,14), lui demande de retirer ses sandales, c’est-à-dire de mettre ses pieds au contact direct du sol. Je sais bien que le motif donné par Dieu pour exiger ce geste est « que le lieu où se tient Moïse est une terre sainte » (Ex 3,5). Mais j’aime méditer sur le fait que l’oreille n’est apte à entendre ce qui est le plus sublime, à savoir la révélation du nom même de Dieu, que si les pieds sont bien sur terre. Le récit va d’ailleurs plus loin, car, avant de prononcer son nom, « Je suis qui je serai », Dieu décrit à Moïse la situation de détresse qui est celle des Hébreux : « J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte, et je l’ai entendu crier sous les coups de ses gardes-chiourmes » (Ex 3,7). Ainsi, on est capable d’entendre en vérité le nom du Seigneur que si, gardant les pieds au contact du sol, à partir duquel on a été façonné, on ouvre d’abord les yeux, en compagnie de Dieu, sur les aliénations et les conflits de ce monde.
Bien plus, une telle vision doit non seulement provoquer la compassion, mais aussi rendre disponible à une mission de libération : « Va, auprès de Pharaon, libérer mon peuple » (Ex 3,9-10). Pas de communion avec Dieu qui ne se traduise par une compassion envers celui qui est méprisé ou exploité. Pas de mystique authentique qui ne remette les pieds du croyant dans les conflits des hommes, et ne s’efforce avec eux de les résoudre. Jésus, nouveau Moïse, en est l’illustration parfaite. »

Xavier Thévenot « Avance en eau profonde ! » (DDB, 1997)