mardi 6 décembre 2011

Les pieds sur terre

Amis pèlerins régalez vous.

«Méditer sur les pieds c’est méditer sur les fondements de notre commune humanité. Je suis devenu plus attentif à tout ce que permettent les pieds. Ils ont notamment deux fonctions merveilleuses : à l’arrêt, ils permettent le maintient de l’équilibre vertical ; dans le mouvement de marche, ils inaugurent un déséquilibre du corps qui se récupère dans un nouvel équilibre, et ainsi de suite. Garder ou trouver l’équilibre suppose une subtile coordination de tous les muscles du pied, entre eux et avec tous ceux du reste du corps. Je saisi mieux pourquoi l’expression « il a bien les pieds sur terre » a fini par désigner quelqu’un qui fait preuve d’un bon équilibre personnel, c’est-à-dire qui a un juste rapport à sa propre condition humaine. […] Ma tête écoute-t-elle le message de mes pieds qui me redisent que tout en moi est issu du sol, puis de l’animalité, et sans cesse en communication vitale avec le cosmos ; ou au contraire ma tête élabore-t-elle des élucubrations par trop coupées des humbles réalités ?
Ces quelques réflexions m’invitent à relire l’épisode du buisson ardent en Ex 3,1-16. En effet, Moïse, en train de faire paître le troupeau de son beau-père, fait un détour pour voir de plus près cette chose étonnante : un buisson qui brûle sans se consumer ! Alors Dieu l’appelle du milieu du buisson, et, avant de lui révéler son nom (Ex 3,14), lui demande de retirer ses sandales, c’est-à-dire de mettre ses pieds au contact direct du sol. Je sais bien que le motif donné par Dieu pour exiger ce geste est « que le lieu où se tient Moïse est une terre sainte » (Ex 3,5). Mais j’aime méditer sur le fait que l’oreille n’est apte à entendre ce qui est le plus sublime, à savoir la révélation du nom même de Dieu, que si les pieds sont bien sur terre. Le récit va d’ailleurs plus loin, car, avant de prononcer son nom, « Je suis qui je serai », Dieu décrit à Moïse la situation de détresse qui est celle des Hébreux : « J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte, et je l’ai entendu crier sous les coups de ses gardes-chiourmes » (Ex 3,7). Ainsi, on est capable d’entendre en vérité le nom du Seigneur que si, gardant les pieds au contact du sol, à partir duquel on a été façonné, on ouvre d’abord les yeux, en compagnie de Dieu, sur les aliénations et les conflits de ce monde.
Bien plus, une telle vision doit non seulement provoquer la compassion, mais aussi rendre disponible à une mission de libération : « Va, auprès de Pharaon, libérer mon peuple » (Ex 3,9-10). Pas de communion avec Dieu qui ne se traduise par une compassion envers celui qui est méprisé ou exploité. Pas de mystique authentique qui ne remette les pieds du croyant dans les conflits des hommes, et ne s’efforce avec eux de les résoudre. Jésus, nouveau Moïse, en est l’illustration parfaite. »

Xavier Thévenot « Avance en eau profonde ! » (DDB, 1997)

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