mardi 29 mars 2011

Être ou avoir ?

La question est aussi vieille que l’histoire de la pensée. Et pourtant elle se pose aujourd’hui avec une acuité toute particulière. Nous sommes en effet plongés dans une crise économique d’une ampleur rare, qui devrait remettre en cause notre modèle de développement fondé sur une croissance permanente de la production et de la consommation. N’étant pas économiste, je ne saurais me prononcer sur les tenants et les aboutissants de la situation actuelle. Mais, d’un point de vue philosophique, je pressens qu’elle peut avoir un effet positif, et ce malgré des conséquences sociales dramatiques que beaucoup subissent et que nous observons tous.
Le mot « crise », en grec, signifie »décision », « jugement », et renvoi à l’idée d’un moment charnière où « ça doit se décider ». Nous traversons une période cruciale où des choix fondamentaux doivent être faits, sans quoi le mal ne fera qu’empirer, cycliquement peut-être, mais sûrement. Ces choix doivent être politiques, à commencer par un nécessaire assainissement et un encadrement plus efficace et plus juste du système financier aberrant dans lequel nous vivons aujourd’hui. Ils peuvent aussi concerner plus directement l’ensemble des citoyens par une réorientation de la demande de l’achat de biens plus écologiques et plus solidaires. La sortie durable de la crise dépendra certainement d’une vraie détermination à changer les règles du jeu financier et nos habitudes de consommation. Mais ce ne sera sans doute pas suffisant. Ce sont nos modes de vie, fondés sur une croissance constante de la consommation, qu’il faudra modifier.
Depuis la révolution industrielle, et bien davantage encore depuis les années 60, nous vivons en effet dans une civilisation qui fait de la consommation le moteur du progrès. Moteur non seulement économique, mais aussi idéologique : le progrès, c’est posséder plus. Omniprésente dans nos vies, la publicité ne fait que décliner cette croyance sous toutes se forme. Peut –on être heureux sans avoir la voiture dernier cri. Le dernier modèle de lecteur DVD ou de téléphone portable ? Une télévision et un ordinateur dans chaque pièce ? Cette idéologie n’est pour ainsi dire presque jamais remise en cause : tant que c’est possible, pourquoi pas ? Et la plupart des individus à travers la planète lorgnent aujourd’hui vers ce modèle occidental qui fit de la possession, de l’accumulation et du changement permanent des biens matériels le sens ultime de l’existence. Lorsque ce modèle se grippe, que le système déraille ; lorsqu’il apparait que l’on ne pourra pas continuer à consommer indéfiniment à ce rythme effréné, que les ressources de la planète sont limitées et qu’il devient urgent de partager : quand il apparait que cette logique st non seulement réversible mais qu’elle produit des effets négatifs à court et à long terme, on peut enfin se poser les bonnes questions. On peut s’interroger sur le sens de l’économie, sur la valeur de l’argent, sur les conditions réelles de l’équilibre d’une société  et du bonheur individuel.
En cela je crois que la crise  peut et se doit d’voir un impact positif ; elle peut nous aider à refonder notre civilisation, devenue pour la première fois planétaire, sur d ‘autres critères que l’argent et la consommation. Cette crise n’est pas seulement économique et financière, mais aussi philosophique et spirituelle. Elle renvoie à des interrogations universelles : qu’est-ce qui rend l’être humain heureux ? Qu’est ce qui peut être considéré comme un progrès véritable ? Qu’elles sont les conditions de vie sociale harmonieuse ?
Les traditions religieuses ont tenté d’apporter des réponses à ces questions fondamentales. Mais parce qu’elles se sont enfermées dans des postures théologiques et morales trop rigides, parce qu’elles n’ont pas toujours été non plus des modèles de vertu et de respect de l’être humain, les religions, en particulier les monothéismes, ne parlent plus à nombre de nos contemporains. Force est de constater qu’aujourd’hui encore de nombreux conflits et bien des violences exercées sur les personnes sont le fait, direct ou indirect, des religions. L’inquisition médiévale ou le gouvernement islamiste de l’Iran actuel donnent l’exemple de l’impossible réconciliation entre humanisme et théocratie. Et, par delà le modèle théocratique, partout dans le monde, les institutions religieuses peinent à répondre à la demande de sens des individus, leur offrant davantage du dogme et de la norme.
La question du bonheur véritable, de la vie juste, du sens de l’existence, s’est posé pour moi assez tôt. J’étais adolescent. La lecture des dialogues de Platon fut une véritable révélation. Socrate y parlait de la connaissance de soi, de la recherche du vrai, du beau, du bien, de l’immortalité de l’âme. Il abordait sans détours des questions qui me taraudaient. Et il le faisait d’une manière qui me paraissait convaincante, à l’inverse des réponses toutes faites et insatisfaisantes du catéchisme de mon enfance. Et puis, quelques années plus tard, je devais voir 16 ans, ce fut la découverte de l’Inde et particulièrement de Bouddha. Divers ouvrages initiatiques et romanesques – Siddhârta de Hermann Hesse ou Le troisième Œil de Lobsang Rampa – me conduisirent à un remarquable petit ouvrage : L’Enseignement du Bouddha d’après les textes les plus anciens, de Walpola Rahula. Nouveau déclic : le passage de Bouddha me parlait autant  que celui de Socrate par sa justesse, sa profonde cohérence, sa rationalité, son exigence pleine de douceur. J’aurais pu en rester là, tant ces deux maitres nourrissaient mon esprit. Pourtant, j’allais bientôt faire une troisième rencontre décisive : à 19 ans j’ouvris les Evangiles pour la première fois. Je tombai par hasard sur l’Evangile de Jean, et ce fut un choc profond. Non seulement les paroles de Jésus s’adressaient à mon intelligence, mais elles touchaient aussi mon cœur. ; Je mesurai alors le décalage parfois abyssal entre les paroles d’une incroyable audace qui libèrent l’individu en le responsabilisant et le discours moralisateur de tant de chrétiens qui enferment l’individu en le culpabilisant.
Depuis plus de 25 ans, le Bouddha, Socrate et Jésus sont mes maitres de vie. J’ai appris à les fréquenter, à me frotter à leur pensée, à méditer leurs actes leurs différences et leurs convergences.  Ces dernières m’apparaissent finalement plus importantes. Car, malgré la distance géographique, temporelle et culturelle qui les sépare, leurs vies et leurs enseignements se recoupent sur les points essentiels. Ce témoignage et ce message, qui m’aide à vivre depuis tant d’années, j’ai eu envie de les faire partager. Je suis convaincu qu’ils répondent aux questions et aux besoins les plus profonds de la crise planétaire que nous traversons.
Car la vraie question qui se pose à nous est la suivante : l’être humain peut il être heureux et vivre en harmonie avec autrui dans une civilisation entièrement construite autour d’un idéal de l’ »avoir » ? Non, répondent avec force Bouddha, Socrate et Jésus. L’argent et l'acquisition de biens matériels ne sont que des moyens, certes précieux, mais jamais une fin en soi. Le désir de possession est par nature insatiable. Et il engendre la frustration et la violence. L’être humain est ainsi fait qu’il désir sans cesse procéder ce qu’il na pas, quitte à le prendre par la force chez son voisin. Or, une fois ses besoins matériels essentiels assurés-se nourrir, avoir un toit et de quoi vivre décemment -, l’homme a besoin d’entrer dans une autre logique que celle de l’ »avoir » pour être satisfait et devenir pleinement humain : celle de l’ »être ». Il doit apprendre à se connaitre et à se maitriser, à appréhender le monde qui l’entour et à le respecter. Il doit découvrir comment aimer, comment vivre avec les autres, gérer ses frustrations, acquérir la sérénité, surmonter les souffrances inévitables de la vie, mais aussi se préparer à mourir les yeux ouverts. Car si l’existence est un fait, vivre est un art. Un art qui s’apprend, en interrogeant les sages et en travaillant sur soi.
Socrate, Jésus et Bouddha nous apprennent à vivre. Le témoignage de leur vie et l’enseignement qu’ils proposent est, me semble-t’il, universel et d’une étonnante modernité. Leur message est centré sue l’être individuel et sa croissance, sans jamais nier sa nécessaire inscription dans le corps social. Il propose un savant dosage de liberté et d’amour, de connaissance de soi et de respect d’autrui. Même s’il s’enracine diversement dans un fond de croyance religieuse, il n’est jamais froidement dogmatique : il donne toujours du sens et fait appel à la raison. Il parle aussi au cœur....
.....Bouddha, Socrate et Jésus sont les fondateurs de ce que j’appellerais un « humanisme spirituel ». Le philosophe Karl Jasper leur a consacré le premier tome de son histoire de la philosophie (en y ajoutant Confucius) et les considère comme « ceux qui ont donné la mesure de l’humain ». Quoi de plus nécessaire et d’actuel face à l’urgente refondation d’une civilisation devenue planétaire ? Une planète par trop tiraillée entre une vision purement mercantile et matérialiste d’un coté, un fanatisme et dogmatisme religieux de l’autre. Deux tendances contraires en apparence et que pourtant tout rassemble pour conduire le monde au chaos en maintenant l’être humain dans la logique de l’ »avoir », de l’obéissance infantilisante et de la domination. Je suis convaincu que seule la recherche de l’ »être » et de la responsabilité – individuelle et collective- peut nous sauver de nous-mêmes. C’est ce que nous enseignent, depuis plus de deux millénaires, chacun à sa manière, Socrate, le philosophe athénien, Jésus, le prophète juif palestinien et Siddhârta, dit « le Bouddha », le sage indien.

Socrate, Jésus, Bouddha
Trois maitres de vie 
Fréderic Le noir

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