mardi 29 mars 2011

Mourir sans histoire.....le sel de l’existence.

Mourir sans histoire, comme vous dites joliment, n’est-ce pas accepter de mourir, renoncer à l’immortalité, à toute espérance transcendante ou eschatologique ? Je sais bien que les sciences ne répondent pas à ces questions.
C’est pourquoi je disais que la curiosité reste insatisfaite.
Qu’y avait-il avant le big bang, qui aura-t-il après la mort ?
Les sciences ne répondent pas, elles ne peuvent pas répondre. Mais vous m’accorderez sans doute qu’on ne peut pas se contenter des problèmes que les sciences se posent ou sont susceptibles de résoudre.
Personnellement, quelle est votre attitude devant la question de l’être "Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » et devant la mort ? Vous semblez récuser l’idée que la mort du corps soit nécessairement la mort de l’âme et en même temps vous donnez comme modèle une feuille qui meurt « sans histoire » et, selon toute vraisemblance, totalement. Je sais bien qu’il y aura d’autres feuilles au printemps.
Mais cela suffit-il à vous consoler ? A vous rassurer ?
Ou bien avez-vous une autre croyance ?
Une autre espérance ?
Une autre foi ?
Je suis entièrement d’accord avec votre attitude ; la science laisse forcément de côté les questions les plus vitales. Pour reprendre le bon mot de Galilée, la science nous dit « comment va le ciel » et non « comment on va au ciel ». En termes plus modernes, on dirait : elle nous apprend comment la nature fonctionne mais non si la vie a un sens, s’il y a quelque chsose au-delà de ce qui se laisse percevoir et quels seraient nos devoirs en tant qu’êtres humains. Plus brièvement : à quoi tout cela rime-t-il, à supposer que cela rime à quelque chose ? Voilà des questions fondamentales qui obsèdent les humains sans doute depuis l’apparition de la conscience chez nos plus lointains ancêtres et sur lesquelles la science est muette.
Bien sûr, comme tout le monde, j’ai peur de la mort. L’idée que, dans un avenir pas très éloigné, je devrai quitter ce monde me peine et me frustre énormément. Etre privé du cycle des saisons, des floraisons précoces, des chants qui annoncent le retour des oiseaux migrateurs et des merveilleux coloris de la forêt canadienne me paraît d’une grande cruauté. Quand j’ai planté des cèdres et des séquoias, c’était, je le sens bien maintenant, pour qu’ils soient mes représentants et mes messagers dans ces temps où je ne serai plus. La nature de notre relation aux arbres est mystérieuse. Les arbres sont à la fois intensément présents mais jamais envahissants, jamais perturbants. Contrairement aux êtres humains qui nous astreignent à nous extraire de notre monde interne, à nous mettre en représentation et en interaction, ils créent une nouvelle intimité en nous-mêmes, enirichie de leurs présences.
Est-ce que j’ai une foi ? Une espérance ? Je suis partagé entre deux visions du monde bien difficiles à concilier.
D’une part, la vision émergeant de la « belle histoire » que nous raconte aujourd’hui l’astronomie me réjouit profondément. Cette croissance de la complexité dans l’univers, à partir d’un Big Bang chaotique jusqu’à l’apparition de la vie et de l’intelligence, ne peut pas, me semble-t-il, être sans signification. C’est là que j’attache toute mon espérance sans pourtant en comprendre le sens.
L’autre vision vient de la lamentable histoire des êtres humains. Les chroniques des historiens antiques ou modernes sont désespérantes. Cette monotone succession de malheurs, de guerres, de massacres et de sang donne l’impression d’un immense ratage. Les Grecs invoquaient l’image de la fatale moîra pesant sur l’humanité, interdisant aux hommes et aux nations de vivre en harmonie. Comment réconcilier ces deux faces du monde ? C’est bien pour moi le nœud du problème.
Notre question initiale : « La nature (Dieu, l’univers) s’intéresse-t-elle à nous ? Nous veut-elle du bien ? A-t-elle du « cœur » ? L’anthropomorphisme, s’il est reconnu comme tel, n’est pas nécessairement sans intérêt. Il peut parfois être fécond. A ces questions, les scientifiques répondent souvent : « La nature est ce qu’elle est, elle n’a que faire de nos états d’âmes et de nos angoisses. Elle n’a pas de sentiments ».
Pourtant, souscrire à cette position, n’est-ce-pas ignorer que la nature a engendré l’être humain qui, lui, peut avoir des sensations et des sentiments. Ce fait, on ne peut pas le gommer. En tout anthropomorphisme on on peut dire que, en créant l’être humain, la nature s’est donné un cœur. La compassion n’existe peut-être pas au niveau de l’ADN, mais certainement au niveau de la personne tout entière. Ce sentiment –ne pas être indifférent à la souffrance des autres- est pour moi le plus beau sentiment humain. La compassion « est » dans la nature ; elle a engendré un être capable de compatir et d’offrir son aide. Cette constatation me paraît passible de donner un sens et une orientation à l’existence humaine.
La vie est dure en elle-même. « Le malheur est profond, profond », écrit Aragon, « de temps en temps, la terre tremble. » On n’y peut rien. Mais il reste une marge dans laquelle on peut augmenter le malheur ou le diminuer. Notre action sur cette marge a un sens, indépendamment du projet, l’absence de projet, ou de l’impossibilité fondamentale de savoir s’il y a un projet .Au-delà de cette attitude pratique, les grandes questions restent sans réponse. Je me sens parfois comme celui qui lit un roman policier particulièrement embrouillé et qui ne comprend rien. Il attend avec impatience le dernier chapître où tout devrait s’éclairer. Si la mort n’est pas un anéantissement, y trouverons-nous les clefs qui nous font si cruellement défaut ? Je me prends quelquefois à le croire. Ce naïf espoir me donne du courage.
J’inverserais volontiers le paris de Pascal. Vivre comme s’il n’y avait rien après, mais laissant grande ouverte la possibilité qu’il y ait « quelque chose . Faire ce qui paraît mériter nos efforts même si l’issue devait être l’anéantissement. Pour ma part, je cherche à connaître et à faire connaître par l’écrit et la parole les enseignements de la science sur l’histoire de l’univers et sur notre insertion dans ce vaste mouvement de complexité cosmique.
Ai-je une foi ? Je ne suis pas matérialiste au sens ordinaire du mot. Je ne crois pas un seul instant que l’évolution cosmique et l’apparition de la conscience humaine soient le résultat du pur hasart. Mais je ne sais pas quoi mettre à la place. Aucune des religions traditionnelles ne me paraît avoir le monopole de la « vé&rité ». Elles ont chacune à leur façon développé des visions mutliples de la trancscendance. Il y a généralement peu d’éléments communs entre leurs visions. Cette constatation souligne surtout les limitation de l’esprit humain face à une réalité si mystérieuse. Les histoires saintes illustrent des facettes différentes de « l’au-delà ».
Mon rapport à la transcendance passe part l’art et en particulier par la musique. Mais non par les pratique religieuses. Les salles de concert sont mes églises. Et les quatuors de Schubert me parlent, plus éloquemment que les arguments philosophiques, d’un au-delà qui nous dépasse et nous entoure de toutes parts. Je rejoins Saint-John Perse : « Quand les mythologies s’effondrent, c’est dans la poésie que trouve refuge le divin ».
La science est incapable de répondre aux questions fondamentales de l’existence : Dieu existe-t-il ? Quel est le sens de notre existence ? Qu’y a-t-il après la mort ? A chacun de chercher les réponses qui lui conviennent sans s’appuyer sur les béquilles des certitudes imposées. Devenir adulte, c’est apprendre à vivre dans le doute et à développer, au travers des expériences, sa propre philosophie, sa propre morale. Eviter le « prêt-à-penser »
Je tourne encore en rond au seujet de l’après-mort. Nous savons aujourd’hui que l’espèce humaine est issue d’espèces antérieures et que le nombre d’espèces animales sur la Terre se chiffre par millions. Si les humains ont droit à une quelconque « résurrection », on peut supposer que ce privilège ne leur est pas réservé ? Mais l’idée que même les bactéries soient de la partie paraît-elle raisonnable ? Par ailleurs, même si on classe avec raison l’espèce humaine parmie les autres espèces vivantes, elle en diffère si considérablement qu’elle a peut-être droit à un statut différent. Quelle espèce animale a réussi à percer les secrets de l’infiniment petit et de l’infiniment grand ? Quelle espèce compose de lam usique ou peint des tableaus ? Quelle espèce est capable de prendre conscience d’elle-même ?
Mais qui sait ce qui se passe dans la tête d’un chat ? En nous accordant un statut spécial, ne sommes-nous pas à la fois juge et partie ? Les critères de supériorité sont ceux que nous définissons nous-mêmes. Et on continue à tourner en rond.
(…) Les rencontres, amicales ou amoureuses, me paraissent être un élément fondamental de la réalité. Pour en percevoir la portée, replaçons-les dans un contexte élargi de temps et d’espace. Reculons loin dans le passé pour en retrouver les antécédents. Retournons jusqu’au Big Bang, au moment où l’univers se présente dans un état de chaos total. Au long de milliards d’années, les étoiles vont préparer les atomes qui, sur la Terre, vont s’assembler pour donner naissance à deux êtres humains. La rencontre, c’est l’événement par lequel ils se rejoignent et prennent conscience de leur existence mutuelle. Sans cette aptitude à prendre conscience de notre propre existence et de celle des autres (et en parallèle de savoir que nous allons mourir), toute rencontre serait impossible. L’immense richesse du monde des amitiés et des amours nous serait inaccessible. Il nous manquerait le sel de l’existence.

Hubert Reeves - Intimes Convictions

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