lundi 28 mars 2011

Faire son deuil...

Je ne sais pas ce que ça veut dire. Pas encore. Peut-être jamais ?
Je sais bien qu'il ne s'agit pas de renier les morts, ni même de ne plus les regretter, mais se souvenir autrement, porter en soi une douleur pacifiée.
Faire la paix avec la mort. Pour le moment je rage contre ma souffrance et elle m'est précieuse, infiniment. A l'idée de faire mon deuil me vient une révolte qui me pousse au contraire à la cultiver, comme on porte et réchauffe une perle de peur de la voir se ternir et mourir.
Mon regret n'est-il pas le complément, depuis si longtemps, de mon désir de vivre ? Douleur et force sont conjointes et se nourrissent l'une de l'autre -ne perdrai-je pas celle-ci en laissant s'émousser celle-là ? Qu'adviendra-t-il après, mon regret assagi, ma douleur mûrie, pacifiée, quand la vie à vivre ne sera plus son exact opposé ?
Faire la paix... Ai-je pris un si mauvais chemin pour y parvenir ?
Après avoir si longtemps refusé de souffrir, mes défenses s'amenuisent, tombent les unes après les autres, et plus je m'ouvre plus je ressens vivace la douleur qui me vient d'EUX, comme si elle attendait, tapie en moi, que je la reconnaisse pour prendre tout son pouvoir.
Elle est là, de plus en plus sensible, de plus en plus présente. Ca ne va pas en s'arrangeant... Comment faire pour l'apprivoiser ? La tuer ?
Je pense à ces petits vieux qui, à la fin de leur vie, ressassent leurs chagrins anciens, sourds à toute consolation, comme si les morts les hantaient de plus en plus. Et si la vie n'a pas été trop mauvaise avec eux par la suite, l'on s'étonne -"Mais qu'est-ce que tu as ? Arrête de pleurer, voyons, c'est Noël... On est là, on t'aime bien, on t'a apporté un châle, des chocolats, tu as tes petits-enfants autour de toi... Oublie tes malheurs, la vie est là qui continue, arrête de pleurer..."
On peut dire ce qu'on veut, pour certains les morts sont plus forts que les petits-enfants.
Est-ce cela qui me guette si je vis jusque-là sans faire mon deuil ?
Il faudrait grandir avant. Il faudrait...
Mais je rêve tellement d'EUX, encore.
Comment faire pour qu'ils deviennent enfin des morts "normaux" ? Comment faire pour ne plus penser que cette mort à trente ans, cette mort si bête alors que ma sœur et moi avions tant besoin d'eux, n'était pas une épouvantable et révoltante erreur ?
Comment faire pour accepter que cela ait PU être, admettre une mort à laquelle ils n'ont pas cru eux-mêmes ? Mes deux beaux endormis, glissant dans le sommeil, n'ont-ils pas songé qu'ils allaient simplement s'assoupir un moment avant de se relever...
Il faudrait à présent qu’ils deviennent de « vrais morts qu’on n’APPELLE plus ». Ils m’ont quittée, il faudrait maintenant que je les laisse partir de moi, décider que cette manière de vivre avec deux morts en filigrane entre moi et toute chose a fait son temps.
Il faudrait arrêter de se battre, faire la paix. Grandir.
Et je ne peux pa ? Je ne veux pas…  J’ai tellement peur…
Peur, si je fais mon deuil de votre mort, que vous vous éloigniez de moi, esprits enfin tranquilles –elle est grande, maintenant, elle n’a plus besoin de nous, laissons-là et allons nous reposer enfin, éternellement…,- que vous m’abandonniez encore une fois, seule dans le grand monde sans vous, à me débrouiller toute seule, encore plus seule que dans cette blanche et silencieuse salle de bains, ce matin de mes huit ans où vous étiez par terre à mes pieds.
Vous laisser partir de moi…
J’en hurle intérieurement de froid et de solitude.
Je ne veux pas. Je veux vous retenir. Je ne veux pas grandir…

Anny Duperey

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire